Vie de couple d'un informaticien
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Quand deux systèmes différents cohabitent, ils doivent se synchroniser, sinon, c'est le plantage assuré.

En informatique, le problème de la synchronisation est un problème complexe que l'on règle généralement en définissant un maître et un esclave parmi les systèmes à synchroniser.
On détermine arbitrairement quel sera le système qui aura le dernier mot en cas de conflit au sujet des informations échangées, toutes les autres informations, sans conflit, elles, seront simplement échangées selon un protocole plus ou moins abouti qui permettra d'éviter la perte de données en cas de plantage.

Chez l'Homme, il est généralement assez difficile de définir un maître et un esclave, allez savoir pourquoi.
Notamment, lorsque les deux systèmes à synchroniser font partie de ce qu'on appelle dans le jargon technique un "couple", aucun des deux protagonistes ne souhaite être l'esclave (sauf cas particuliers, dans des circonstances particulières que je n'évoquerai pas ici).

Dès lors, à partir du moment où chacun des deux individus vit sa vie de son côté, le moment des retrouvailles sert d'abord à opérer la synchronisation.
Phase nécessaire et obligatoire pour que le système "couple" continue de fonctionner normalement.
L'homme et la femme étant des systèmes complexes, qui gèrent une quantité d'informations à faire palir Wikipédia, voire Google, la première question qui se pose au moment de la synchro, c'est la pertinence des informations échangées.

Prenons un exemple : Monsieur est informaticien (je me demande où je vais chercher tout ça), et il a passé sa journée arc-bouté sur son clavier pour débusquer un problème de charge serveur inopinée due sans doute :
- à un mélange savant entre incompétence notoire des utilisateurs,
- rayons cosmiques perturbants du soleil sur le disque dur,
- problème d'intégrité de la mémoire vive,
- attaque simultanée d'un virus et d'une bande de hackers brésiliens prépubères
- et éventuellement bug dans le code PHP qu'il a pondu la veille en catastrophe
(mais c'est tellement rare que je ne le mentionne même pas).

Le soir, il retrouve Madame, peu importe son métier, on s'en fout, ce n'est pas important, qui lui demande avec sa maladresse habituelle si tout s'est bien passé aujourd'hui et qu'est-ce qu'il a fait de beau pendant cette longue journée sans elle.
Je sais, tant d'inconvenance peut choquer, mais je vous assure que parfois, elles sont comme ça !

L'épouse ayant généralement un QI d'huitre a des difficultés à percevoir la complexité des enjeux et la profondeur abyssale de la technicité du métier de son homme, inutile de lui parler ne serait-ce que du problème pourtant trivial du contrôleur de la carte RAID 5 qui a lâché juste au moment où Roger avait un problème d'imprimante, ce qui a brouillé le diagnostic au point d'en arriver à faire tomber tout le réseau par erreur. Ça, c'est au-dessus de ses moyens.

Du coup, que dire de cette journée de merde ? Si l'on ne retient que les points positifs, le petit jeu en flash que vous a envoyé Beber (il se reconnaîtra) et sur lequel vous avez passé deux heures pendant que Roger n'imprimait pas, la vidéo avec des animaux tous nus qu'on a retrouvé sur le réseau, sans propriétaire, la stagiaire de la compta qui nous a obligé à monter la clim rien qu'en passant dans le couloir... Elle va sans doute s'imaginer qu'on ne fout rien au boulot, voire juger catégoriquement que ça ne l'étonne pas qu'on sorte toujours en retard si c'est pour regarder de telles bétises.

Pour éviter tout problème, le plus simple est de botter en touche avec un simple "Rien de spécial", "Comme d'habitude", bref, une phrase évasive qui ne veut rien dire d'autre que "tu me fais chier avec ta question de merde".
On attend quelques secondes le bit (attention !) de confirmation, et vlan, c'est parti pour la synchro dans l'autre sens.

On ne peut pas dire que l'épouse ait eu une journée follement plus passionnante, mais elle est bloquée depuis des lustres sur le mode "verbose" qui fait qu'elle donne toutes les infos qu'elle a manipulées dans la journée :
Peu importe leur importance, et peu importe si cela vous concerne de près ou de loin...
... et sans ordre particulier, surtout pas chronologique, ça serait trop simple.
Piège courant :
L'une des infos transmises en complète une autre, qui date d'une synchronisation précédente, il y a une semaine.
Impossible de comprendre la seconde info sans la première, et si vous avez le malheur d'esquisser un rictus d'incompréhension, c'est l'écran bleu immédiatement :
- "Je te l'ai dit la semaine dernière, mais tu m'écoutes jamais".

Donc, ne pas bouger, recevoir les infos sans broncher, en essayant de stocker quelque part celles qui semblent pertinentes, mais dans un cerveau féminin, ça peut-être la couleur d'un petit dessus aperçu hier chez Fashion Victim, comme la coiffure de la belle-soeur ou le cancer phase terminale du cousin éloigné. Tout au même niveau. Pas de différence.
Le flot de paroles se termine :
Vous avez réussi à ne pas cligner des yeux et même à faire des acquiescements de la tête aux moments stratégiques.
Encore une synchro réussie, peut-on être tenté de se dire.

Erreur gravissime : il reste les gosses. C'est déjà miraculeux qu'ils
n'aient pas coupé la parole cinquante fois pendant la première phase déjà difficile à suivre. Il faut s'en féliciter.
Les gosses n'ont généralement aucun souvenir de leur journée d'école.
Le trou noir complet. Amnésie collective et totale.
Mais ils ont par contre des milliers de détails insignifiants de ce qui s'est passé dans la cour de récréation.
De l'oiseau qui a chié sur le grillage à l'humidité du macadam de la cour.
Du vomis de Kevin à la collection de billes de cartouche de Jennyfer. Tout y passe, avec force détails.

Au milieu de l'abstraction totale du bug PHP (oui bon, cette fois-ci c'était un bug, mais c'est rare), tant de problèmes aussi concrets qu'insignifiants d'un coup, c'est le dépassement de pile assuré. Stack Overflow.
On en oublierait presque des trucs importants. L'anniversaire de mariage, c'est quand déjà ?
C'est demain ! Bordel, j'ai pas encore trouvé de cadeau.
Bon, demain, je rentrerai tard encore une fois...