Tous les mardis, en sortant du collège, la petite Mireille courait vers la rivière,
folâtrant parmi les herbes de Provence, toutes plus odoriférantes les unes que les autres.
Elle l'aimait, cette rivière !
La petite Mireille, elle, plus tard, voulait être "navigatrice solitaire".
Elle, qui, du haut de ses 15 ans, n'avait jamais vu la mer, pauvrette !
Un jour, elle serait comme ces champions de l'impossible, qui dressent des vagues, comme d'autres dressent des lionnes.
Elle l'avait décidé depuis longtemps, mais, c'était un secret qu'elle ne partageait qu'avec les cigales et les lapins, qui la comprenaient, et qui lui souhaitaient bonne chance, en poussant leurs "cri cri". Surtout les cigales...
Alors, cette rivière, c'était son Océan !
Une simple feuille de châtaigner, où elle piquait une brindille, et elle l'avait son catamaran, son pennebuick, son paquebot...
Elle confondait tout, pauvrette...
"Hissez la grand voile, affalez le spi, bordez le foc", criait elle, en suivant son radeau de fortune, que de temps en temps un caillou malicieux faisait chavirer dans sa course.
"Iceberg, iceberg !", hurlait elle...
Trop tard !
Sous le regard mutin des petits lapins - qu'elle appelait ses moussaillons - et qui gambadaient, parmi le thym et le romarin.
Mais, ce mardi là, ce qui lui apparut fut extraordinaire :
sortant, tout ruisselant, de la rivière, au lieu-dit "La Gourde", dans le simple appareil d'une beauté qu'on vient d'arracher au soleil, un homme nu.
Que dis-je, un homme ?
Une chevalière à chaque petit doigt, une gourmette de 400 grammes en or massif, une chaine qui descendait dans une garrigue de poils, et au bout de laquelle pendait une figure de la vierge, un scorpion, et une lame de rasoir.
Et tout ça, en or, s'il vous plait ! Un ange !
- "Qui êtes vous ?", articula la petite Mireille, subjuguée par cette apparition.
"Ne seriez vous pas un de ces Dieux des Océans, un de ces corsaires des temps modernes, qui bourlinguent dans mes rêves ?"
-
"Tu pouvais pas mieux tomber !", répondit-il, en mettant ses Ray-Ban comme unique vêtement.
"Mon nom est Jean-Claude Surcouf"
-
"Ah !", fit la pitchounette.
-
"Mais...", reprit-il,
"baignes toi comme moi dans le courant de cette onde pure, et, après, viens t'en sécher au soleil à côté de moi."
Ce qu'elle fit, pauvrette !
Quand elle sortit de l'eau, nue, innocente, elle ne vit pas qu'il toisait sa toison.
Allongée près de lui, elle l'écoutait. Il parlait comme dans un conte de fées :
- "Tu vois Magalie..."
- "Mireille !"
- "Oui, bon, Mireille... Les bateaux et la mer, c'est comme le corps d'un homme. Tu vois mes dents ?"
- "Oh, oui !"
- "Ce sont les récifs ! Tu vois mes côtes ?"
- "Oui."
- "Ce sont les côtes. Tu sens mon cœur ? C'est la marée qui monte et qui descend."
- "Oh !... Et ça, c'est quoi, Monsieur Surcouf ?"
- "Hé... C'est le mat ! Mais, retournes toi, Mireille, et regardes cette abeille qui butine cette petite fleur..."
Et elle se retourna.
Autour d'eux, l'air fleurait bon le serpolet, la sauge et la sarriette, le genévrier, le cerfeuil et la noisette.
1 minute et 15 secondes plus tard, la petite Mireille, frêle goélette, avait l'impression qu'un porte-avion lui tamponnait la poupe...
-
"Mon Dieu !", cria elle de douleur.
- "T'inquiète pas, petite, je suis là !", fit il.
Et il poussa un grognement terrible qui coucha les oreilles des tous les lapins et les écureuils de la contrée...
- "On dirait que le tonnerre tonne", grogna-t-elle, le nez dans une touffe de lavande.
- "Tu vois, tu commences à voyager, petite !"
Et le temps passa...
Des voyages, elle en fit, la pitchounette...
Elle connut le parfum du cambouis, dans les docks, mêlé sans nuances au parfum des... des hommes sans scrupules, peuchère !
Peu chère elle même, car, aujourd'hui, pour 100 ou 150 francs, dans un hôtel sordide, elle vous fait ce que vous voulez.
Et voilà !!! C'est pour ça qu'il faut bien faire attention à ce qu'on nous raconte. Toujours.
Parce que, c'est pas parce que l'accent est joli, que l'histoire est belle...
(c) Pierre Palmade