Françaises, français, belges, belges, Monsieur le Président, mon chien,
troublante et pulpeuse soprano du barreau, monsieur le jovial roucouleur pyrénéen,
- pouf pouf - oui : roucouleur grec (Ah Ah) - pardon -,
Mesdames et messieurs les jurés, public chéri, mon amour.
Que la cour en son infinie bonté veuille bien me pardonner ma plume de plomb et ma gueule de bois.
Vous avez devant vous, mesdames et messieurs les jurés, un homme en plein lendemains qui déchantent.
J'étais hier soir l'invité d'honneur d'une folle soirée dansante, certes, mais surtout buvante qui se déroulait dans les locaux de la police judiciaire salle des innocents
perdus - une salle immense -.
C'était le premier festival annuel de la bavure.
Qu'est ce qu'on s'est marrés! Le ministre de l'intérieur en personne était là.
C'est lui qui a remis le bavoir d'or 1981 (rires, applaudissements) à l'inspecteur Boniche, celui la même qui arrêta Pierrot Le Mou chez Régine et Pierrot Le Dur chez Rachel Welch.
(rires).
À lui seul, l'inspecteur Boniche a réussi cette année à tuer 6 enfants et 2 chats lors de l'arrestation manquée de l'assassin de la pleine lune.
L'assassin de la pleine lune appelé ainsi pour des raisons que la morale réprouve, et qui est recherché depuis six mois par toutes les polices pour le double meurtre de
la chèvre de monsieur Seguin.
Mais direz vous, monsieur le président, vous qui êtes nul, certes, mais clairvoyant, comment cet imbécile -c'est moi-,
comment cet imbécile peut-il parler de double meurtre alors qu'il n'y a qu'une seule chèvre ?
Je ne me trouble pas, Monsieur le président, et je réponds : n'est ce pas là la preuve flagrante que j'ai bien la gueule de bois ?
"Occire six enfants et deux chats pour rater l'assassin d'une chèvre, aucune bête au monde ne l'aurait fait"
a déclaré le ministre sous les applaudissements nourris des 500 plus belles peaux de vache de France.
Les plus grands noms de la police étaient là : l'inspecteur Bing de la brigade anti bang, le commissaire boum de la brigade anti gong, le brigadier chef
Lepetit, dit Larousse Illustré à cause de ses traces de vérole, l'inspecteur Edmont Cu c'est du poulet, le commissaire Lephoque de la brigade des morses,
sans oublier l'ex commissaire Bourel, complètement bourel qui continue de tirer au 11-43 malgré sa maladie de Parkinson et qui va sur ses 103 ans,
sans lâcher ni sa pipe, ni sa foi dans le métier, puisqu'il est toujours sur la piste de Jacques Messrine.
À l'issue du banquet, le commissaire Froussart a pris la parole pour fustiger publiquement les détracteurs de notre police,
concluant avec un brio littéraire inattendu chez un homme d'action plus prompt à dégainer son flingue qu'a tirer son coup... tôt, son couteau.
Pardon, le commissaire Froussart a fustigé les détracteurs de la police, puis insistant sur le droit de la police à la bavure, il conclut sous les vivats :
"On nous dit Mort aux vaches, mais quand les vaches ont la fièvre aphteuse, on leur reproche pas de baver.
Vive la bavure !"
Cérémonie touchante donc, mais moins touchante tout de même que ces retrouvailles avec Luis Mariani, heu..
Georges Guétaré... pardon...
Georges Guépary, excusez moi.
Excusez moi, j'ai toujours confondu Guétary et Mariano, parce que y en a un qui est grec, l'autre il était pas grec...
Mais enfin il est pas tombé loin quand même.
Au fait qu'est ce qu'il devient Mariano ?
Mais, mais, à propos de Georges Guétary, relisons plutôt ces très belles pages des souvenirs de Maurice Genevois, dans son livre inoubliable :
"Ma Sologne c'est pas de la merde."
Je lis, ne riez pas, M.G. était un grand écrivain.
"Georges Guétary", c'est donc Maurice Genevois qui parle, "Georges Guétary c'est toute mon enfance.
Je me rappelle encore c'était avant les événements, je fais allusion à Sarajevo, dans la vieille cuisine basse aux murs noircis de fumée,
grand père bourrait sa pipe de bruyère au coin de l'âtre.
Sur la toile cirée usée jusqu'à la trame, grand mère avait posé le seau de fonte ou moussait encore le lait de Normandie de la noiraude.
C'était l'heure douce et crépusculaire, où dans chaque ferme les paysans bourrus et grumeleux s'apprêtaient à confectionner la spécialité solognote la plus recherchée des
fins gourmets : le yaourt bulgare, avec des vrais morceaux de braconniers entier dedans.
"Oh, pèrre, c'est l'heurre du yaourr" disait ma grand mère.
Alors grand père se levait doucement, essuyait ses noeuds... ses doigts noueux, comme des noeuds ...
ses doigt noeuds, noueux, sur son pantalon, de velours sombre, qui en avait tant vu, sortait les petits pots de grès de
l'armoire de chêne, les disposait sur la table, les remplissait du bon lait de la noiraude et tournait la manivelle du vieux gramophone sur la commode.
Alors la voix de Georges Guétary s'élevait vers Dieu comme un gargouillis pathétique de sanitaire libéré.
Aussitôt, Pataud, notre vieux chien rhumatisant se jetait par la fenêtre en hurlant, tandis que notre chat Fifi plongeait dans le feu plutôt que d'entendre la suite.
Seule, seule grand mère restait impassible, elle s'était défoncée les tympans au tisonnier une bonne fois pour toute,
la première fois qu'elle avait entendu "LA ROUTE FLEURIE".
Avant même le premier refrain, les yaourts s'étaient faits tous seuls.
Il ne restait plus qu'à boucher les pots et recoller le papier peint."
Et l'auteur de Rabolio, qui, ne l'oublions pas grâce à Jacques Chancel est devenu presque aussi connu que Maître Cappelo à la fin de sa vie ...
L'auteur de Rabolio conclut sur cette note optimiste :
"Quand on a entendu ne serait ce qu'une seule fois dans sa vie la voix de Georges Guétary s'élever au dessus des brumes de la plaine solognote,
on comprend pourquoi les Russes n'ont jamais osé envahir la Sologne."
Merci à toi Georges Guétary, merci à toi, le Zorba du glouglou, toi dont l'organe aux accents troublants repris de bouche en bouche par des millions
de boudins transits a plus fait pour l'extension de l'opérette en France que Monsieur Latex pour l'extension de la capote outre-Manche.
Georges Guétary, Messieurs les jurés, a mérité votre clémence.
J'en demande pardon par avance à notre avocat pulpeuse et troublante, à qui j'ôte le sein de la bouche, de la douche, le pain...,
mais je le répète soyons cléments avec Guétary.
Pourquoi? Pour deux raisons.
La première, c'est qu'à l'heure où je vous parle, il ne dit rien,
et comme le disait si judicieusement le général De Gaulle après avoir assisté à la millième du chanteur de Mexico au Châtelet :
"Un chanteur d'opérette qui ferme sa gueule ne peut pas être tout a fait mauvais."
Enfin, la dernière raison, c'est que Georges Guétary aura été l'un des rares artistes français à exporter le génie musical de notre pays au delà de nos frontières,
jusqu'en Yougoslavie, où je le lis dans le Dossier de l'Inspection, il reçût deux chèvres du directeur de l'opéra.
En fait c'était une chèvre pour lui et un bouc pour Mariano, enfin c'est pas...
C'était pour sa prestation géniale dans Le Baron Tzigane.
Ce que Georges Guétary n'avoue pas à cause de sa grande modestie, c'est que c'est le maréchal Tito en personne qui lui a remis ces deux chèvres,
pour le remercier en outre d'avoir composé l'hymne national yougoslave, le célèbre "Tito est parti" qui est encore plus beau que le "Maréchal Nous Voilà",
non c'est "Tito est Partout", pardon excusez moi, "Tito est Partout" cet hymne vous vous souvenez : "♫ Tito Tito par ci, Tito Tito par là... ♫"