"Et vous, qu'est-ce que vous avez fait pour les jeunes ?" lançait l'autre
soir Jack Lang, cette frétillante endive frisée de la culture en cave, à
l'intention de je ne sais plus quelle poire blette de la sénilité
parlementaire.
"Qu'est-ce que vous avez fait pour les jeunes ?"
Depuis trente ans, la
jeunesse, c'est-à-dire la frange la plus totalement parasitaire de la
population, bénéficie sous nos climats d'une dévotion frileuse qui confine à
la bigoterie.
Malheur à celui qui n'a rien fait pour les jeunes, c'est le
péché suprême, et la marque satanique de la pédophobie est sur lui.
Au fil
des décennies, le mot "jeunes" s'est imposé comme le sésame qui ouvre les
voies de la bonne conscience universelle.
Le mot "vieux" fait honte, au
point que les cuistres humanistes qui portent la bonne parole dans les
ministères l'ont remplacé par le ridicule "personnes agées" comme si ces
empaffés de cabinet avaient le mépris des de leurs père et
mère.
Mais les jeunes ne sont pas devenus des "personnes non agées".
Les jeunes sont les jeunes.
Ah, le joli mot.
"Vous n'avez rien contre les jeunes ?" Version à peine édulcorée du
répugnant "T'as pas cent balles ?", c'est la phrase clé que vous balancent
de molles gouapes en queue de puberté, pour tenter de vous escroquer d'une
revue bidon entièrement peinte avec les genoux par de jeunes infirmes.
(Je veux dire "handicapés".
Que les bancals m'excusent.)
- Pardon, monsieur, vous n'avez rien contre les jeunes ?
- Si, j'ai.
Et ce n'est pas nouveau.
Je n'ai jamais aimé les jeunes.
Quand
j'étais petit, à la maternelle, les jeunes, c'étaient des vieux poilus, avec
des voix graves et de grandes main sales sans courage pour nous casser la
gueule en douce à la récré.
Aujourd'hui, à l'âge mûr, les jeunes me sont encore plus odieux.
Leurs
bubons d'acné me dégoûtent comme jamais.
Leurs chambres puent le pied confiné et l'incontinence pollueuse de leurs
petites détresses orgasmiques.
Et quand ils baisent bruyamment, c'est à côté
des trous.
Leur servilité sans faille aux consternantes musiques mort-nées que leur
imposent les marchands de vinyle n'a d'égale que leur soumission béate au
port des plus grotesques uniformes auquel les soumettent les maquignons de
la fripe.
Il faut remonter à l'Allemagne des années 30, pour trouver chez
les boutonneux un tel engouement collectif pour la veste à brandebourgs et
le rythme des grosses caisses.
Et comment ne pas claquer ces têtes à claques devant l'irréelle sérénité de
la nullité intello-culturelle qui les nimbe ?
Et s'ils n'étaient que nuls,
incultes et creux, par la grâce d'un quart de siècle de crétinisme marxiste
scolaire, renforcé par autant de diarrhétique démission parentale, passe
encore.
Mais le pire est qu'ils sont fiers de leur obscurantisme, ces
minables.
Ils sont fiers d'être cons.
"Jean Jaurès ? C'est une rue, quoi", me disait récemment l'étron bachelier
d'une voisine, laquelle et son mari, par parenthèse, acceptent de coucher
par terre chez eux les soirs où leur crétin souhaite trombiner sa copine de
caleçon dans le lit conjugal.
Ceci expliquant cela : il n'y a qu'un "ah" de résignation entre défection et
défécation.
J'entends déjà les commentaires de l'adolescentophilie de bonne mise :
"Tu dis ça parce que t'es en colère.
En réalité, ta propre jeunesse est
morte, et tu jalouses la leur, qui vit, qui vibre et qui a les abdominaux
plats, "la peau lisse et même élastique", selon Alain Schifres, jeunologue
surdoué au Nouvel Observateur.
Je m'insurge.
J'affirme que je haïssais plus encore la jeunesse quand
j'étais jeune moi-même.
J'ai plus vomi la période yéyé analphabète de mes
vingt ans que je ne conchie vos années lamentables de rock abâtardi.
La jeunesse, toutes les jeunesses, sont le temps kafkaïen où la larve
humiliée, couchée sur le dos, n'a pas plus de raison de ramener sa fraise
que de chances de se remettre toute seule sur ses pattes.
L'humanité est un cafard.
La jeunesse est son ver blanc.
Autant que la vôtre, je renie la mienne, depuis que je l'ai vue s'échouer
dans la bouffonerie soixante-huitarde où de crapoteux universitaires
grisonnants, au péril de leur prostate, grimpaient sur des estrades à
théâtreux pour singer les pitreries maoïstes de leurs élèves, dont les plus
impétueux sont maintenant chefs de choucroute à Carrefour.
Mais vous, jeunes frais du jour, qui ne rêvez plus que de fric, de carrière
et de retraîte anticipée, reconnaissez au moins à ces pisseux d'hier le
mérite d'avoir eu la générosité de croire à des lendemains cheguevaresques
sur d'irrésistibles chevaux sauvages.
Quant à ces féroces soldats, je le dis, c'est pas pour cafter, mais y font
rien qu'à mugir dans nos campagnes.