Dernières volontés
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Avant de me détruire, toutefois, je pense que ce serait bien que je vous fasse part de mes dernières volontés.
D'ores et déjà, j'ai décidé de faire don de mes abats à la science... justement.
S'il reste des morceaux de viande, ces prélèvements, eh bien, je souhaite vivement qu'ils soient jetés aux ordures dans un sac poubelle, si possible bleu, ça me rappellera mes vacances à Corfou.

Que penser de la mort en tant que service public ?
Eh bien, à mon avis - qui se trouve être l'avis de référence auquel j'ai le plus volontiers tendance à me ranger, quand il m'arrive de vraiment vouloir savoir ce que je pense -, à mon avis la mort devrait être un service public gratuit pour tout le monde, par exemple comme la naissance.
D'ailleurs, l'heureux temps chanté par Brassens où les gens avaient à coeur de mourir plus haut que leur cul, eh bien, c'est un temps qui est révolu maintenant.
On vit désormais dans une démocratie couchée, et il est naturel que les morts donnent l'exemple de l'humilité.

N'empêche qu'il avait le sens de la formule, le père Brassens; c'est joli "les gens avaient à coeur de mourir plus haut que leur cul".
Moi, j'avais une passion pour Brassens.
Un de mes grands regrets, c'est de ne pas l'avoir connu de son vivant.
Brassens, le seul rapport que j'ai eu avec lui, c'est un rapport téléphonique.
Il m'a téléphoné un jour chez moi.
C'était peu de temps avant sa mort.
Il m'a dit, je me rappelle ses mots exactement : "Allô, monsieur Desproges, je suis Georges Brassens, je vous téléphone pour vous dire que j'aime beaucoup ce que vous faites."
Je lui ai répondu que moi aussi j'aimais beaucoup ce que je faisais, évidemment.
C'était bien notre point commun, à Brassens et moi.
Je déconne, là.
Je ne pense pas ce que je dis, là.
Non, en fait, j'aimais vraiment Brassens.
J'ai pas peur de l'avouer, j'avais quarante ans passés, eh bien, le jour de la mort de Brassens, j'ai pleuré comme un môme.
J'ai vraiment pas honte de le dire.
Alors que - c'est curieux - mais, le jour de la mort de Tino Rossi, j'ai repris deux fois des moules.
Bon allez, assez parlé des morts.

D'ailleurs, on ne devrait parler que de ce qu'on a vu, on dirait sûrement moins de conneries.
Encore que...
Hé ! Dites ! Si on ne devait parler que de ce qu'on a vu, est-ce que les curés parleraient de Dieu ?
Est-ce que le pape parlerait du stérilet de ma belle-soeur ?
Est-ce que Giscard parlerait des pauvres ?
Est-ce que les communistes parleraient de liberté?
Est-ce que je parlerait des communistes ?


(c) Pierre Desproges. Textes de Scène. (Spectacle joué au Théâtre Fontaine en 1984)