Dites-moi, j'y ai déjà fait allusion tout à l'heure, mais vous n'écoutiez
déjà pas, alors, je me répète :
c'est grotesque d'être assis comme ça.
Peu
d'animaux s'abaissent jusqu'à s'asseoir.
Le hibou se perche, la
chauve-souris se pend, le serpent se love, le ham s'terre.
(C'est Victor
Hugo qui disait que les calembours, c'était des pets de l'esprit, il avait
pas tout à fait tort.
Je l'ferai plus.
Je recommence)...
Le hibou se perche,
la chauve-souris se pend, le serpent se love, l'ara s'casse, le cheval se
couche, le soleil se lève, l'homme s'asseoit.
A part le chat et le chien, créatures stupides qui poussent parfois la
veulerie jusqu'à tolérer dans leur sillage des employés de banque dont ils
lèchent la main, quand c'est pas la concubine, peu d'animaux, je le répète,
s'abaissent jusqu'à s'asseoir.
Et encore, on dit : le chien, mais le chien
ne s'assied jamais véritablement, ah non !
Il s'appuie sur ses pattes de
devant, dans une position relativement élégante, alors que l'employé de
banque, non.
Le professeur Konrad Lorenz, humaniste scientifique et grand ami des
bêtes, qui a partagé son existence entre l'étude du comportement
sociologique animal et les cuites à la Kanterbräu, eh bien, le professeur
Lorenz a expérimenté lui-même, dans son laboratoire bavarois, ce que je suis
en train de vous dire là...
Si si c'est vrai !
D'ailleurs, vous pouvez
refaire l'expérience chez vous : il suffit d'avoir quelques épagneuls
bretons et quelques employés de banque sous la main, c'est simple.
Je vous
refais le schéma de cette expérience :
si nous asseyons côte à côte - c'est
important qu'ils soient assis côte à côte -,
si nous asseyons côte à côte un
employé de banque que nous appellerons A...
C'est pas drôle, puis en plus on
s'en fout du nom de l'employé de banque.
Je l'appelle A par pure convention.
Vous savez, ça n'a aucun intérêt, on s'en fout.
Enfin, vous avez déjà fait
des problèmes à l'école, quand même ?
Ne m'interrompez pas, ça va être très pénible, sans ça.
Alors, si nous
asseyons - je reprends -,
si nous asseyons côte à côte un employé de banque
que nous appellerons A
et un épagneul breton que nous appellerons
Catherine
- en hommage à Catherine de Médicis qui était pas mal velue elle
aussi -,
et si nous disons : "Haut les mains !", seul l'épagneul breton se
casse la gueule.
L'employé de banque, pour sa part, reste assis dans cette
posture niaise qui est présentement la vôtre, et cela jusqu'à ce que...
l'agresseur se tire avec la caisse...
ce que je ne vais pas tarder à faire
moi-même maintenant.
Pierre Desproges