Laura Laune - Prof en CAP
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Pardon... Dans la vie je suis enseignante. Alors j'ai pas l'habitude de parler devant des gens qui m'écoutent.

Je suis professeur d'Histoire de l'Art en CAP soudeur-bétonneur option foot.
Non, non, c'est pas du tout ce que vous pensez : Il y a des élèves difficiles, et il y en a beaucoup qui sont en échec.
Mais alors c'est pas du tout parce ce qu'ils s'en foutent ou parce qu'ils travaillent pas...
Non, faut arrêter de dire ça, non c'est juste parce qu'ils sont excessivement cons.
Et alors, souvent, on dit que le cadre familial est en cause, et là, par contre je suis d'accord, hein, parce que, c'est vrai que malheureusement, très souvent, les parents aussi sont excessivement cons.

Mais ça va, les élèves ils sont gentils.
Parfois, ils me laissent des p'tits mots sur le tableau : Euh... "pute... grosse pute... sale pute...".
Bon, ça veut dire qu'ils me considèrent un peu comme quelqu'un d'leur famille.
Par contre, un jour, le petit Saïd et son frère ont écrit : "Va te faire enculer salope !"
Alors là, j'ai tout de suite appelé le directeur, hein. Oui, parce que, enfin, quand des élèves arrivent à faire des phrases entières, ils doivent absolument quitter l'option foot.
Alors, comme ils avaient de toute évidence un talent certain en littérature, nous les avons réorientés en option journalisme.
Bon c'est vrai, ils ont eu un peu de mal au début, mais un jour, ils ont réussi à intégrer un grand journal français.

Et ça m'a encouragée : je me suis dit, si ces deux frères Kouachi ont reussi à réaliser leur rêve, tout le monde peut y arriver.
Alors, ça m'a redonné de l'espoir, et avec mes élèves, j'ai décidé de tout reprendre à zéro.
À commencer par le respect.
Donc; je leur ai appris que le respect, c'est par exemple que les professeurs acceptent que Mélanie et Fatima portent la burqa pendant les cours.
Donc ils m'ont répondu, qu'elles ne portaient pas la burqa, mais qu'elles étaient en option apiculture. Bon.
Je leur ai également appris que quand un professeur leur dit en début de cours : "Sortez votre matériel", ça ne signifie en aucun cas qu'il aimerait poursuivre le cours à genoux devant une farandole de bites de toutes les couleurs.

Malheureusement, je me suis rendu compte qu'avec mes élèves, c'était vraiment désespéré le jour où je ne sais plus à propos de quel sujet, je leur ai posé la question :
"Qu'en pensez-vous ?" et qu'ils m'ont répondu : "Pas très souvent".
J'avoue que ce jour-là, en rentrant chez moi, j'ai été vraiment découragée et pour la première fois de ma vie, j'ai pensé au suicide.
Oui, j'ai acheté une grande quantité de somnifères...
Je leur ai distribué et je leur ai dit que ce monde n'était pas fait pour eux.
Alors le directeur de l'école m'a virée.
Mais je ne me suis pas laissée faire cette fois, non, je lui ai dit à cet enfoiré :
"Papa, tu me vires, d'accord, mais je m'en fous, j'irai donner des cours ailleurs !"
Il m'a dit que plus personne ne serait assez con pour me payer pour m'écouter parler.

Alors j'ai décidé de changer de profession.
J'ai choisi humoriste.
Il paraît que dans l'humour c'est les Arabes qui réussissent le mieux.
En plus mes amis, ils m'ont tout de suite encouragée, quand je leur ai dit que j'allais être humoriste, ils ont éclaté de rire.
Ils ont dit que j'étais aussi drôle qu'Adolf Hitler.
Alors moi, je connais pas bien les humoristes allemands.
.. Mais j'ai cru comprendre qu'on ne l'entend plus trop aujourd'hui, et que sa carrière s'est très très mal terminée.
Comme quoi, c'est pas pour être dans les clichés et tout mais, quand on a envie de réussir dans le milieu du spectacle, on a quand-même intérêt à bien s'entendre avec les juifs et les pédés.

Et c'est là que j'ai eu l'idée de monter sur scène.
Alors j'ai quitté la Belgique pour venir à Paris, et j'ai commencé à passer plein de castings pour jouer dans des pièces, mais malheureusement, ils ont pas trouvé que j'étais une bonne comédienne.
Enfin, le directeur du casting a dit : "Bonne, oui. Comédienne, non."
Mais il a ajouté : "Si tu veux, on va boire un verre et on en discute."
Alors on est allés dans un café, on s'est assis.
Il a dit : "Qu'est-ce que tu vas prendre."
J'ai dit : "Un jus d'orange".
Il a dit : "C'était pas une question."
Du coup, ben... J'ai rien bu.
Mais il a dit : "Je vais te dire une chose très importante, dans ce métier, il faut coucher si tu veux avoir une chance de réussir. Enfin pour certaines."
Et j'ai dit : "Oui, je sais, et puis parfois il faut réussir pour avoir une chance de coucher, enfin pour certains."
Du coup j'ai pas eu le rôle.

Alors je suis rentrée chez moi, désespérée, et mon pèré était très énervé, il a dit :
"La prochaine fois qu'un grand directeur de casting te propose de coucher avec lui, c'est très important que tu acceptes."
Oui, il a dit : "Le show-business, c'est comme les toboggans à la piscine. On avance plus vite quand on se couche, même si parfois ça fait mal au cul."
Enfin bon heureusement, il a ajouté :
- "Maintenant, si tu veux y arriver par toi-même, en travaillant dur tout en restant honnête, je peux comprendre...
Mais sache en tout cas que ta mère et moi, on serait très fiers que tu suces Michel Drucker."
Et là, j'ai eu une révélation.
Je me suis dit, si mes parents ont assez confiance en la vie pour croire que Michel Drucker est encore capable de bander, moi aussi je dois croire en la vie et en mes capacités.
Alors j'ai pris une grande décision : écrire mon propre spectacle.

J'ai écrit mon propre spectacle.
Les gens ne se bousculent pas, mais ça ne veut rien dire.

J'ai compris quelque chose, ces derniers temps :
Aller voir un spectacle, c'est un peu comme faire l'amour.
Quand il y a une grosse queue à l'entrée, ça veut pas forcément dire que ça va être bien...

Et puis en plus je suis sûe que ça va aller, car quand j'ai passé le casting pour jouer ici ce soir, la directrice de la salle elle a dit comme ça : - "Toi, je t'engage DIRECT !"
Alors je voulais en profiter pour lui dire ce soir ces deux mots que je pense sincèrement : "Merci Maman !"