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Gad Elmaleh : La sortie d'école
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À propos, ça vous est déjà arrivé d'assurer comme ça ?
Réveil en avance, vous avez habillé le petit et vous avez tout fait bien.
Le cartable avec le goûter bien emballé, au bon endroit pour pas être cassé entre les cahiers.
Les devoirs ont été faits, le cartable est bien fermé.
L'enfant est coiffé, il a pris son petit-dèj'.
T'as jamais été au top de ta vie comme ça... et c'est mercredi.

Mais c'est pas de notre faute.
Nos papas nous ont pas appris.
Les mamans apprennent plus aux filles que les papas aux garçons.

Mon papa m'a éduqué avec des concepts trop flous. Tous les matins avant l'école, j'entendais juste : - "Hé ! Fais attention !"
Que veux-tu que je fasse avec ça ?
J'ai passé ma vie à faire attention, mais sans savoir à quoi.
Quand mes potes m'appelaient pour jouer:
- "Non, je dois faire attention."

Mon père, parfois, il proposait qu'on joue à cache-cache.
On disait oui.
- "Allez vous cacher."
Ben nous, on allait se cacher, et lui, il partait au travail...
C'est pas qu'il ne prévoyait pas les choses.
Par exemple, les pères de mes copains, s'il pleuvait, tout de suite, "schlack !", le parapluie.
Comme si un bras était organisé.
Mon père, il regardait et disait: "On va être mouillés..."

En même temps, mon père avait quelque chose d'essentiel.
Tous les matins, il me disait :
- "T'as rien oublié, toi ?"
Je pensais qu'il parlait de mon cartable, de mes habits...
- "Non, papa."
- "Si ! T'as oublié quelque chose...
Embrasse ton père !"

Ça, j'essaie de le reproduire avec mon fils, sauf que c'est pas la même époque.
C'est pas la même année. 2008, tu dis à ton fils de t'embrasser, il te répond :
- "Y a une raison particulière ?
Est-ce que c'est un élan d'affect soudain ?
Juste 'out of nowhere' ?
Ou c'est une volonté du père de marquer l'autorité, une espèce d'exécution de soi-même carrément fils-père à l'ancienne ?"
- "Embrasse ton père et c'est tout !!!"
- "Papa, tu devrais moins t'ènerver.
Tu gagnerais en autorité, vachement."
- "Allez, va ! Je viendrai te chercher à l'école tout à l'heure !
T'es content ?"

On demande sans cesse aux enfants s'ils sont contents pour des trucs basiques.
Je viens te chercher.
Le môme te répond pas, mais dans sa tête, c'est :
- "Il est con, lui ?
Je suis content?
Non.
Ni pas content.
Mais s'il vient pas me chercher, je vais rester dans la rue, quoi."

C'est pareil quand tu fais à manger.
En fait, c'est toi qui es content.
Voilà.
- "T'es content?"
Là, tu lis dans ses yeux :
- "Ben si je mange pas, je peux mourir."

J'aime bien aller le chercher à l'école.
C'est fascinant de voir les parents devant l'école.
Les enfants sortent à 16h30.
Les parents sont là depuis 16h05.
Ils stressent.
Comme si c'était pas normal que les portes ne s'ouvrent pas. T'as que des parents fébriles devant l'école, genre...
- "Arrête, il est 16h10 !!!"
À 16h12, 16h20, c'est toujours :
- "Je le sens pas trop, là..."

Putain, ils s'imaginent quoi ?
Que la sortie est annulée ?
C'est une institution, c'est la République, c'est l'école, les enfants vont sortir !
D'ailleurs, les portes s'ouvrent !
Elles s'ouvrent, les parents se mettent à chercher leurs enfants, mais comme si on leur avait donné des descriptions approximatives.
Ils sont comme ça...
Et quand ils le voient, ils font :
- "Hou ! Hou! "Tu te rappelles ? C'est maman ! C'est moi que je t'ai amené ce matin..."
Comme si l'autre allait répondre :
- "Non, je reste là aujourd'hui."
Avec l'air de dire :
- "Viens, y'a tout, le lit, à manger..."

Les enfants se mettent à sortir.
Vous avez remarqué que les premiers qui sortent, ils appartiennent à personne ?
Il y a un 1er flot qui gicle, y a les vrais qui arrivent.
Les parents sont là, ils voient passer les 1ers :
- "Non, c'est pas bon.
Laisse, c'est pas nos enfants, ça."

Ça me rappelle l'histoire de la valise sur le tapis roulant.
La 1ere n'appartient jamais à personne.
Elle indique juste où aller aux autres valises.
C'est peut-être la même chose pour les enfants.
Ils s'en vont, pas de parents, cartable, tout ça, vas-y !
Que c'est une équipe de nuit?

Mon fils, il sort toujours en dernier.
Tous les gens te diront :
- "Le mien aussi."
C'est marrant ! Partant de ce postulat, qui sort en 1er ?
Ce sont les bons élèves.
J'aime bien celui qui sort en 1er qui est tellement bon elève que pendant qu'il marche, il semble faire ses devoirs.
- "Là, je fais la gèo...
- "Salut papa, t'as eu une bonne journée ?"
Il serre la main à son père !!!
- "On y va !"
T'as l'impression que c'est lui qui est venu chercher son père.

Y'en a un après qui sort.
Il existe dans toutes les écoles du monde.
Un peu gros, les cheveux explosés.
Il transpire.
Pourtant, il sort de la même école, de la même organisation, mais on dirait qu'il sort d'une essoreuse.
Il est essoufflé, on sait pas pourquoi.
Il a une chaussure dans la main gauche.
Il marche en tapant fort par terre.
Un gamin en larmes le suit.
Il lui manque une chaussure.
Tu comprends rien à ce qu'il dit.

Et juste après, il y a la petite fille modèle.
Qu'est-ce qu'elle est belle !
On dirait un film americain.
Petites lunettes.
Elle voit son père et elle dit:
- "Mon papa !"
T'as envie de lui...

Après, y en a un autre.
Tu connais celui qui sort sans cartable ?
C'est qui, lui ?
7 ans 1/2, pas de cartable !
Cool, il n'a aucun scrupule.
C'est le plus détendu de l'école.
Il sort sans cartable.
Il fait même une petite acrobatie au passage.
Habitué, quoi.
Tu crois que son papa va l'attraper, mais y a pas de papa non plus.
Le môme, il est là, en detente.
C'est qui ?

Et y a celui que personne n'est venu chercher.
C'est pas mignon ?
Alors lui, au début, il cherche.
Comme tous les enfants, il pense qu'on lui a fait une blague, d'où l'attitude.
Plus ça va et plus il cherche dans des endroits improbables.
Il croit quoi ?
Que son père est accroché à un lampadaire ?
- "J't'ai eu, hein ?"
Et le plus fascinant, c'est que plus ça va, plus les minutes passent, et plus cet enfant, qui attend, fait des choses avec son corps, des expériences personnelles.
Je sais pas si vous avez déjà observé un enfant qui attend.
Il fait des trucs.
Si c'était pas un enfant...
On te le décrit : - "Tu me parles d'un malade mental, là ?"
Imagine que c'est un pote à toi.
Pourquoi ils font tous ça, le manteau sur la tête ?

Parfois, quand je dis à mon fils de mettre son manteau, il le met comme ça et il dit :
- "C'est bon, papa !"
T'as envie de le frapper, même !
- Rôô ! Il frappe son enfant ?!
- Et alors ? Mon papa m'a frappé... ! Frapper et battre, ça n'a rien à voir !
Je condamne ceux qui battent leurs enfants.

Enfin, une petite "treha" de temps en temps...

Pardon pour ceux qui ne connaissent pas ce mot : "Treha", verbe irrégulier. To treh, troh, trohen..."


© Gad Elmaleh