FLORENCE FORESTI  :  l'accouchement

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Je me suis ridiculisèe. (Elle vient de terminer son sketch "Le texto" par l'expression ringarde : "A plus dans le bus !")

Je vois pas quoi vous raconter de plus humiliant. Ni de plus intime.
Remarque, je peux raconter mon accouchement.
(Rire) Non, on est à table. C'est idiot. Non, j'ai pas le droit. J'oublie toujours...

Je suis connue, mais je deroge pas à la règle.
Je suis sous secret maternel aussi.

On signe une clause de confidentialité après l'hôpital.
Pour pas qu'on effraie les générations futures.

Si on racontait réellement le... Le bonheur que c'est... L'humanité pourrait s'éteindre en 50 ans à peine.
C'est pour ça, on est chargées de la fermer.
Ou de rester évasives... Ça, on a le droit.

On le sent, ça, à la première grossesse.
On est super inquiète, on se tourne vers nos aînées.
- "Alors, raconte. C'est comment ? Ça fait mal ?"
- "Oh, je sais pas. Je m'en rappelle plus.
Regarde, en revanche... J‘ai appris la kazatchok.
Mais quand on te met le bébé sur le ventre, c'est merveilleux..."
- "Mais j'aimerais savoir comment il va de dedans à dessus."

C'est ça qui nous intéresse, mais on ne peut pas en parler.
On est super surveillées.
Je peux être sur ecoute.

Ah oui, bien sûr : On a juste le droit de dire 3 phrases, quand même, aux suivantes.
On a une dérogation pour 3 expressions.
C'est du mot pour mot. Je dois pas me planter. Alors, attends...
Les 3 phrases qu'on a le droit de dire, c'est... ... Oui. Ça y est !

Alors. Le premier truc, c'est :
- "La grossesse ? C'est un peu long, surtout vers la fin." (Rire bête) Voilà.

Le deuxième, c'est : "La césarienne ? Ouais, ça tire un petit peu."
Avec une variante pour Pépisio.

Et la dernière, c'est : "La péridurale ? (Voix d'outre-tombe) : Ça fait pas mal."

Voilà les 3 seuls trucs qu‘on peut dire.
Tout le reste... Tout l'accouchement, c'est silence radio.

Je connaissais pas. Ils m'ont dit : - "Vous accouchez par voix basse ?"
(Murmurè) - "Je sais pas. Je veux bien essayer, mais à un moment, je vais gueuler.
Ah, par "voie" basse ? J'avais compris "à voix basse". Je trouvais ça paradoxal."

"Si j'accouche par voie basse ?" : C'est-à-dire ??? Il y aurait une voie haute ?
Est-ce qu‘on peut tousser un enfant???
Non, évidemment, il y a qu'une voie. C'est juste le vocabulaire... un peu bovin l'affaire.

Comme je peux pas vous parler de l'accouchement, je peux vous parler des à-côtés.
Le baby-blues, qui survient après.
"Baby-blues" : Je trouve le mot faible ! T'as pas le blues, après l'accouchement.
Johnny, il a le blues.
Toi, tu fais une dépression post-partum.
♫ "In your head..." ♫ (Elle chante "Zombie" des Cranberries)

Mais le mot dépression est effrayant, ils l'ont changé.
Les gars du marketing ont trouvé. C'est mignon, ça fait américain. T'as presque envie de l'avoir.
- "Pourvu que je l'aie !"
Oh, oui, tu l'auras.
Vous trouverez toujours des femmes qui diront qu'elles l'ont pas eu.
Ça existe, Dieu merci.

Les mêmes diront que l'accouchement était le plus beau jour de leur vie.
Ce que je comprends. Je respecte.
Mais ces filles, à quoi ressemblent les autres jours de leur vie ???
Alors, oui, évidemment, bien sûr...
Oui. C'est vrai que... Si t'es afghane... si tu es séquestrée, l'accouchement, ça peut être le plus beau jour de ta vie.
Ça peut même être la fiesta : - "Wouhou ! Délivrance. ♫ Gotta get up, gotta get up ♫"

- "Arrête, c'est mon placenta." (Rires)

Non, c'est pas bon. Chut.
Je vais trop loin. Je voudrais pas effrayer les jeunes.
Je force le trait, mais c'est sympa.

La grossesse, c'est comme...
... Je cherche une image poétique.
Eh bien, la grossesse, c'est comme...
Une gastro qui dure 9 mois.
Et encore, pendant une gastro, tu maigris.

Non, c'est au-delà.
C'est comme une gueule de bois qui dure 9 mois.
Mais celle de tout à l'heure, où le matin, tu vomis, tu te dis : "Je boirai plus."
Là, pareil : le matin, tu vomis et tu dis : "Je ferai plus l'amour."
Ce qui revient au même, au final.
Alors, sinon...

Non. Je suis chargée de véhiculer un message positif sur la grossesse.
Il y a des avantages à être enceinte.
Euh... Voilà. Il y a, ouais...
Allez, ouais ! Quand t'es enceinte, ouais...
T'as, euh... Wouhou! T'as des hémorroïdes, ouais !
Non. Je cherche.
Allez, wouhou ! Il y a la cystite. ♫ La cystite ♫
Même en chantant, ça fait mal. Pardon.

Les ver, les ge... les vergetures, ouais !

Ah, si. Quand t'es enceinte, t'as bonne mine.
Et on te le dit toute la journée.
- "Je t'ai jamais vue si épanouie."
"Epanouie", c'est courtois pour "grosse".
Non, Florence, tu es cynique.
Non, les femmes enceintes, vous avez une aura.
- "Ça fait 9 mois que j'ai pas fumé, pas bu et que j'ai 20kg de trop !!! J'ai bonne mine ? Je dors 22h par nuit.
- Donne-moi ta clope. Souffle-moi la fumée au visage.
Je veux lécher ton parfum, il y a de l'alcool dedans."
Evidemment, tu as bonne mine.
Tu as des beaux ongles.
On s'en fout, les filles, des ongles. Ça sert à rien.
On ramène pas un mec avec ses cuticules.
- "Ouh, oh, là, là... Cette femme a des ongles incroyables, je dois l'épouser !"
Ou si tu les mets là, oui. Sinon...

Ah, je suis bête ! Il est là, l'avantage : enceinte, tu as des beaux seins.
Enfin, beaux... Gros.
Parce que beaux... Dessous, il y a Ie réseau autoroutier en filigrane.
Les veines apparentes.
Google Maps en permanence.
- "Bonjour, monsieur. Comment ? "Vous êtes perdu ? Non, vous êtes ici. Prenez la départementale, ça prend 2 secondes."

Si, il y a un truc que moi, j'ai trouvé fabuleux.
Un truc magique, quand t'es enceinte : quand le bébé bouge.
Surtout au début. Ça devient concret. Tu fais : - "Oh. Ah. Il bouge."
On devrait dire : "Il bouge mes organes, l'enfoirè." Ce serait plus juste.
"Il bouge", on s'imagine que le bébé fait quoi, dans le ventre ?
Il fait : "Ya ! ya !" (onomatopées)

Attends, il s'installe, c'est evident.
Il te refait la déco, à l'intérieur.
C'est Valèrie Damidot, le gosse.
- "9 mois pour tout changer, 0K.
Alors, mes chatons, ce qu‘on va faire : on va déplacer la rate. Ça va faire de l'espace.
Ici, pour la chambre, on va écarter les côtes.
Et pour la vessie, on va appeler Francky et maroufler la vessie.
Wouhou !"
(Applaudissements)
Ah, moi, je pense que oui.
J'ai encore des stickers ou des rideaux, dedans, si ça se trouve.

C'est vrai que vu comme ça, vous comprendrez mieux pourquoi j'admire tant les mamans.
Je considère les femmes comme des héroïnes, des survivantes, des combattantes.
Je sous-estime pas les hommes.
Je minimise pas la douleur de l'homme, qui existe.
Des fois, en bricolant, l'homme plante un clou et le rate.
- "AÏe. Pff... ça pince. C'est chaud, ça pince les ongles, attends..." (Huèes)

Ouais, non, mais arrête. C'est pas votre faute.
On vit pas la même chose, tant mieux pour vous.
Nous, à côté de vous...

- "On a fait le Viêt Nam... (musique angoissante) et nos corps s'en souviennent. Voilà.
Ça, là ? Oh, pff... Sale histoire, laisse tomber...
Ça, c'est Mèlissa, été 82. Je m'en rappelle...
Putain de beau bébé : 4,5kg... 56 cm...
J'ai tout tenté. J'ai fini par dire : - "Continuez sans moi, les gars, je vous ralentis."
Césarienne, ma vieille !
Ouais. Sans anesthésie. Ouais.
Quoi ? Ça, là ?
Allaitèes de septembre 84 à novembre 85.
Putains de crevasses...
Putain de guerre...
J'étais trop jeune, Jo. ! " - Jo, c'est ma copine Josiane.
- "Si, Josiane. Crois-moi !"

(Musique triomphante)
"♫ U Can't Touch This !!!" ♫ (MC Hammer)

Merci.


(c) Florence Foresti. Extrait du spectacle "Mother Fucker"