Raymond Devos : Le clou
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Un jour j'étais en train d'enfoncer un clou dans le mur.
Il y a un type qui passe, il me dit: - "Pourquoi vous enfoncez ce clou ?"
Je lui dis: - "Moi, je n'ai pas d'explications à vous donner ! J'enfonce un clou, j'enfonce un clou !"
Le type me dit: - "Moi, j'aime bien savoir pourquoi..."
- "Je n'ai pas à vous dire pourquoi... J'enfonce un clou, j'enfonce un clou, c'est tout ! bon !"
Et je continue d'enfoncer mon clou. Je l'avais presque enfoncé, et il ne me restait plus que ça, un centimètre quoi.
Le type sort une tenaille et il arrache le clou !
Je lui dis: - "Pourquoi arrachez-vous mon clou ?"
- "Je n'ai pas d'explications à vous donner, moi !"
- "Je voudrais bien savoir pourquoi ?"
- "Je n'ai pas à vous dire pourquoi..."

Il est fou, ce type ! C'est une histoire insensée, non ?
Je suis en train d'enfoncer un clou, un type arrive avec une tenaille et il arrache le clou !
Bon... Je ne veux plus penser à ça, parce que ça devient une idée fixe ! Enfin...

(Il désigne la scie qu'il tient à la main.) Ça, c'est une scie que j'ai achetée à un monsieur qui sciait sa femme en deux dans les foires...
Il enfermait sa moitié dans une caisse, il sciait sa caisse en deux et la moitié de sa femme tombait dans la sciure !
Et un jour... sa moitié est partie avec la caisse !
Alors, il m'a vendu la scie... parce que c'était le clou de son numéro.

(Il revient à sa marotte.) J'ai quand même le droit d'enfoncer un clou sans être obligé de dire pourquoi j'enfonce un clou ?
S'il voulait arracher un clou, il n'avait qu'à commencer par en planter un, et, après, il l'aurait arraché, ce clou !
Il n'avait pas à arracher mon clou à moi ! Qu'est-ce qui va arriver ?...
C'est que je n'oserai plus planter un clou, moi !
Hé ! Si c'est pour être là à surveiller s'il y a quelqu'un avec une tenaille pour me l'arracher. Ah non ! Non !
Ça revient, hein ? Ne parlons plus de ça !
(Il va pour jouer de la scie... mais revient à son clou.)
Ce n'est pas la question du clou, hein ! Des clous, j'en ai ! Mais, celui-là, j'y tenais !
C'est un clou que j'avais ramassé tout rouillé, tout tordu.
Je l'avais redressé de mes propres mains.
Après, je pouvais lui taper sur la tête comme un forcené, il ne déviait pas d'un pouce !
Alors, quand il fallait planter un clou, je plantais celui-là.
J'ai toujours enfoncé le même clou... pas à la même place, mais le même.
Peut-être qu'à force d'enfoncer le même clou, on finit par s'y accrocher ? C'est possible...
Et un type arrive avec une tenaille et il arrache mon clou ! Sans me donner d'explications !
Si encore il m'avait dit pourquoi il l'avait arraché, ce clou...
Moi, je lui aurais bien dit pourquoi je l'avais planté, finalement !
Si seulement... je m'en souvenais ! Hé ! ça fait longtemps de ça...
Ça remonte tout de même à vingt-cinq ans, cette histoire !
Allez ! Je ne veux plus penser à ça... Je deviendrais marteau !
Bon ! Je vais vous scier un tube ! Enfin... Je vais vous jouer une scie !
(Tout en jouant un morceau sur sa scie, il marmonne:)
- "Je n'en ai plus enfoncé depuis, hein ! Ça été fini ! Ça été le dernier clou...
Ça m'a coupé l'envie d'enfoncer un clou...
Vous verrez, vous, si vous enfoncez un clou et qu'il y ait un type qui arrive... avec une tenaille..."

(c) Raymond Devos