Figurez-vous qu'il y a quelques jours,
on sonne à la porte de la maison.
C'était ma belle-mère...
Elle me dit :
"Je sens que ma dernière heure est arrivée,
je voudrais la passer chez vous !"
Moi, je me dis :
"Une heure, c'est vite passé..."
Je lui dis :
"Entrez, belle-maman !"
Pauvre belle-maman ! Je dois dire que j'aurais
passé une partie de ma vie à la semer !
Je l'ai semée partout !
Je l'ai semée sur un quai de gare...
dans la foule... Je l'ai même semée dans un champ ! (Sans jeu de mot !)
Alors, en l'accueillant...
je ne faisais que récolter ce que j'avais semé !
Bref !
Je lui dis :
"Entrez, belle-maman ! Installez-vous !"
Une heure se passe.
Rien !
Je lui dis (montrant sa montre) :
"Belle-maman, l'heure tourne !"
Elle me dit :
"Vous êtes pressé ?"
Je lui dis :
"Moi, non ! Mais vous... Vous allez vous mettre en retard !"
"Oh, elle me dit, je ne suis pas à une seconde près ! "
Elle chausse ses lunettes et elle se met à lire les nouvelles de dernière heure !
Alors la, je lui ai dit :
"Belle-maman, ce n'est pas très honnête, ce que vous faites !
Quand on a convenu d'une heure, on s'y tient ! "
C'est vrai !
D'autant que je croyais que sa dernière
heure, elle ferait soixante minutes, une durée normale, quoi !
Tandis que la, elle n'en finissait plus, sa dernière heure !
D'autant qu'elle me dit :
"Qu'est-ce qu'on joue ce soir à la télé ?"
Je lui dis :
"Les cinq dernières minutes, belle-maman !"
Elle me dit :
"Oh, c'est plus qu'il ne m'en faut !"
Et elle s'installe devant le poste.
Quand elle a vu que c'était,
l'histoire d'un monsieur qui essayait de semer sa belle-mere,
elle me dit :
"J'ai déjà vu le film.
D'ailleurs, il est temps de passer de l'autre coté !"
Je lui dis :
"Voila une sage résolution, belle-maman ! Faites ! Passez donc !"
Et elle est passée dans la chambre d'à coté !
Depuis, on en est là...
On ne sait plus sur quel pied danser !
De temps en temps, on allume des bougies pour créer l'atmosphère...
pour inciter au recueillement !
Dans ces moments-là, vous vous surprenez
à marmonner des phrases ambiguës :
"Tiens ? Il y en a une qui ne va pas tarder à s'éteindre !
Forcement ! Cela fait plus d'une heure qu'elle se consume !"
Alors, les heures passent ! Onze heures !
"Vous prendrez bien un bouillon, belle-maman ? Non ?... Ah !?.."
Une heure plus tard :
"Et un bain de minuit, bien glac... Non ?"
"Non, mais je fumerais bien une cigarette, la dernière !"
"Ah !! Va chercher le paquet !"
Et tout le paquet y est passé !
De plus, elle ironise :
"Oh, je ne sais même plus où mettre mes cendres."
Forcément, le cendrier est plein !
Je n'ose pas le vider !
On va encore dire que j'essaie de semer ma belle-mère !
Raymond Devos