CHEVALIER : Tu t'intéresse à l'Art, toi ? |
LASPALES : Bien sûr ! J'ai une salle à manger entière de chez Conforama... certifiée 1980. |
CHEVALIER : Elle est certifiée par un expert ? |
LASPALES : Pas besoin ! J'ai gardé le ticket de caisse ! Et les chaises ont été recapitonnées l'année dernière en tissu lavable. |
CHEVALIER : C'est un expert agréé monuments de France qui t'a capitonné les chaises ? |
LASPALES :
Non, c'est Brico Décor. Oh, je suis pas inquiet sur la qualité, hein : c'est eux qui décorent tous les salons de la reine d'Angleterre avec des moulures en plastique. Et ils viennent de retaper toute la literie du Vatican... |
CHEVALIER :
Parce que, normalement, pour ce genre de travail le mieux c'est un maître rempailleur agrée Moleskine ®. Tu paies un peu plus mais t'as une finition soignée. C'est d'ailleurs de manière générale l'avantage de l'artisanat. Moi, je vois, avec ma femme, pendant des années, on donnait notre linge à une laverie industrielle pour des raisons d'hygiène. Bon.. le blanc était impeccable... mais le tissu était râpé : je gardais pas une chemise plus de 10 ans ! |
LASPALES :
Mais rien ne vaut le travail artisanal !
Un jambon à la coupe n'a pas le même goût qu'un jambon de société... Et en Art c'est pareil... Il faut acheter sur place. Le potier de l'île d'Oléron, il fait tout devant le client. Alors, qu'au Grand Palais, les toiles qui sont exposées, elles sont amenées en camion. On sait même pas comment ça a été fait ! |
CHEVALIER : Sans compter, qu'en Art il y a beaucoup de contrefaçons . Au Louvre, par exemple - bon, je parle du Louvre parce que c'est un petit peu connu depuis qu'il a la Pyramide, bon - eh bien, il paraît que la Joconde... c'est même pas la vraie ! |
LASPALES : Non.. c'est sa sœur. |
CHEVALIER : On dit même que c'est peut-être son frère... parce qu'elle a de la moustache... |
LASPALES : Ou son père... parce qu'elle a de la barbe... |
CHEVALIER : Ou sa mère... mais ça j'y crois pas, parce qu'elle était orpheline... |
LASPALES : On dit même que c'est pas elle ! |
CHEVALIER : Mais si ça se trouve, c'est même pas Picasso qui l'a faite ! |
LASPALES : Non, c'est plus récent... |
CHEVALIER : Et le problème aussi en Art, c'est que non seulement il y a des contrefaçons, mais il y a aussi beaucoup de faux... |
LASPALES : Oui... Par contre, moi, j'ai une vraie reproduction de Gauguin chez moi... |
CHEVALIER : Oh ben, ouais mais, hé ! C'est une reproduction !!! |
LASPALES : ... Ah ouais, mais c'est une vraie... ! |
CHEVALIER : Mais, comment tu le sais ? |
LASPALES : Je l'ai acheté à la Fnac. C'est le vendeur qui me l'a dit... |
CHEVALIER : Oui, mais donc, c'est une reproduction... |
LASPALES : Oui, mais authentique ! Quand j'la regarde, je vois vraiment le tableau de Gauguin. |
CHEVALIER : Oui, mais, sauf que le tableau tu ne l'as pas... |
LASPALES : N'empêche que je le vois ! Alors, qu'il y a des gens qui ont le vrai qu'ils voient pas... |
CHEVALIER : Comment ça ? |
LASPALES : Parce qu'ils sont trop occupés. Ils passent devant. Ils se rappellent plus qu'il est là. |
CHEVALIER :
Ouais, ou parfois, même, ils ont le vrai , seulement, ils le voient pas parce qu'ils l'ont mis au coffre... Où est-ce que tu l'as mise, toi, ta reproduction de Gauguin ? |
LASPALES : Dans la cuisine. Au-dessus du frigo... parce que ça fait aussi calendrier ! |
CHEVALIER :
Parce que moi, si j'avais un vrai Gauguin, je le mettrais dans les cabinets... Parce que, pour contempler un chef-d'œuvre... faut pas être plusieurs ! |
LASPALES :
Ben non ! À plusieurs, on est toujours dérangé, on apprécie pas... C'est comme au spectacle : quand il y a trop de monde, c'est pas bien... |
CHEVALIER :
Enfin... sauf pour nous, hein ? Et c'est comme la grande musique : ça s'apprécie mieux chez soi, tout seul. |
LASPALES : Et oui ! À l'Opéra, tu es toujours dérangé par un type qui mange des popcorns, ou qui suce un Esquimau... |
CHEVALIER : .. ou qui retire ses chaussures... ou qui t'asperge de bière en débouchant une canette... ou qui lit un journal... |
LASPALES : ... en tout cas.. La Joconde, les reproductions de Gauguin, les portraits du Sacré Cœur, moi, je respecte. On voit que c'est travaillé |
CHEVALIER : Ah ben, c'est sûr ! On voit le boulot, hein ! |
LASPALES : Mais là où je suis pas d'accord, c'est en abstraction... |
CHEVALIER :
Ahhhh ! Attention !!! Il y a quand même de belles choses aussi en Art moderne... Mais c'est sûr que les gars ont pas suivi la même formation que les Classiques ! |
LASPALES : Ils travaillent pratiquement plus au pinceau... Maintenant, ils sont tous au rouleau... |
CHEVALIER : Mais Beaucoup de peintres modernes viennent du bâtiment, hein ? ... C'est connu, ça ! |
LASPALES : C'est souvent d'anciens maçons qui ont été licenciés... |
CHEVALIER : Mais ils ont gardé leurs outils... C'est avec ça qu'ils peignent... |
LASPALES : Oui, ils ont gardé des planches, des bouts de ferraille... |
CHEVALIER :
Mais, cela dit, il y a quand même de belles choses en moderne. Parce que là, moi, j'ai vu un reportage à la télé sur un sculpteur colombien qui a fait une très belle statue de Madame Ségolène Royal, dans un bidonville à Caracas. Elle est faite en abstrait, mais avec beaucoup de tenue... |
LASPALES : C'est en plâtre ? |
CHEVALIER :
Non... Ah, non.... C'est fait à base de tuyaux de canalisation soudés avec des boîtes de conserve, le tout recouvert d'une mince pellicule de boue séchée, qui lui fait comme un masque de beauté... |
LASPALES : C'est ressemblant ? |
CHEVALIER :
Ah non..
Non, non, si tu sais pas que c'est elle, tu vois une boîte de haricots ! Mais quand on te le dit... il y a quelque chose... |
LASPALES : On la reconnaît pas vraiment, alors ? |
CHEVALIER : Non, pas vraiment, non... |
LASPALES : C'est pas plus mal !!! |
© Philippe Chevallier et Régis Laspalès