CHEVALIER : C'est bien réfléchi, il faut vous amputer la jambe... |
LASPALES :
M'enfin, Docteur, vous n'y pensez pas !!! J's..., j'suis coureur à pied... |
CHEVALIER :
(au public) On dirait pas, hein ? Hé, hé, hé ! Hé, ben, vous mettrez une planche à roulette ! |
LASPALES : C'est interdit par le règlement ! |
CHEVALIER :
Ah, ben, je sais pas, moi... Changez de métier : travaillez avec vos mains, soyez horloger, ou vitrier. |
LASPALES : Vitrier ? |
CHEVALIER : Oui, vitrier ! |
LASPALES :
Si la planche dérape, pendant que je mets un carreau ? Le travail est mal fait, le client est mécontent... |
CHEVALIER :
Mais faut les caler, vos roulettes ! Vous mettez un journal en boule sous la planche, pour pas qu'elle bouge ! |
LASPALES : Un journal, quel journal ? |
CHEVALIER :
Ben, un journal ! C'est pour rouler en boule... Mais pas de papier glacé ! Hein ? Sinon la planche, pfft !!! |
LASPALES : Un France-Soir ? |
CHEVALIER :
Voilà ! Un journal qui s'lit vite ! Comme ça, vous le mettez tout de suite en boule... |
LASPALES : Bon, alors, pour résumer : |
CHEVALIER : Oui... |
LASPALES :
- J'me fais amputer. - J'mets ma planche. - J'roule le journal en boule dessous. - Et après, j'mets mon carreau. |
CHEVALIER :
Oui, alors, ça c'est au cas où vous avez choisi vitrier. Maintenant, vous pouvez très bien prendre un autre métier. |
LASPALES : Sans rouler en boule ? |
CHEVALIER : Ben oui ! |
LASPALES : Quoi, par exemple ? |
CHEVALIER :
Ben, je sais pas, moi... coiffeur, par exemple... Un coiffeur, il se sert pas de ses pieds ? |
LASPALES : C'est vrai ! |
CHEVALIER : Enfin, sauf, un manchot... |
LASPALES : Oui. |
CHEVALIER : Et encore ! Il coiffera avec ses dents, celui-ci ! |
LASPALES :
Y'a un métier qui m'aurait plu, c'est de tenir un bar... Seulement, derrière le comptoir, on me verra plus ! |
CHEVALIER :
Mais faut pas vous mettre
DERRIERE le comptoir ! Faut vous mettre DESSUS !!! La bouche ouverte, remplie de cacahuètes... C'est rudement apprécié au moment de l'apéritif ! |
LASPALES :
Et les pièces de 20 centimes ? Où c'est qu'ils les mettent ??? |
CHEVALIER : Ah... |
LASPALES :
Oh, c'est embêtant, hein, une amputation !!! Ça me limite dans le choix des métiers ! Quand j'étais jeune, je voulais être plongeur chez Cousteau, mais là... |
CHEVALIER :
... Les palmes, où est ce que vous les mettrez ? Hein ? Ah, ah, ah, ah ! |
LASPALES : Aux mains... |
CHEVALIER :
Ah ben, faites de la marionnette,
à ce moment là, au théâtre du Luxembourg, chez Guignol !
|
LASPALES : M'enfin, Docteur, cette amputation, on peut pas l'éviter ? |
CHEVALIER :
Ben, si, on peut l'éviter ! Seulement, si vous voulez pas vous soigner, moi, j'y peux rien ! |
LASPALES : Non, non, mais Docteur vous faites votre métier, hein... Je veux pas non plus... |
CHEVALIER : Ben, il me semble, oui ! |
LASPALES : Pfft... Mais bon... Je pensais... qu'avec une pommade, euh... |
CHEVALIER : Ah, "une pommade, une pommade, une pommade..." |
LASPALES : Comme il s'agit d'un corps au pied... |
CHEVALIER :
Pfft...
Evidemment, je peux vous mettre une pommade ! Enfin, ça, euh, ça va vous soulager pendant 40 ou 45 ans... Et puis, dans 50 ans, vous revenez me voir ! |
LASPALES : Ouais, alors, c'est sûr, si c'est pour revenir tous les 50 ans... |
CHEVALIER : Allons ! |
LASPALES :
Surtout que j'aime pas bien ça, la pommade :
ça fait le pied gras... Ça traverse la chaussette, et le sky du cuir est abîmé... |
CHEVALIER :
Maintenant, il y a aussi la solution de changer de chaussures. Seulement, 20 ans d'études pour en arriver là, ça frise le gâchis... |
LASPALES :
D'autant que celles ci sont trop petites ! Seulement, y'avait pas ma pointure dans la couleur que ma femme voulait, alors ça m'a enserré le pied pendant des années. |
CHEVALIER :
Oh, mais, je sais, je connais votre dossier ! Seulement, je vois deux objections au changement de chaussures :
|
LASPALES : Ouais, mais enfin... une amputation !!! |
CHEVALIER :
Mais, mon vieux, une amputation ! Mais, avec les moyens modernes, mais c'est rien du tout !!! Bah ! Enfin ! Bah ! Bah ! On vous met là, sur le billaud, avec un verre de vin... Un Beaujolais ou un Mâcon... |
LASPALES : Un Mâcon !!! |
CHEVALIER : Un Mâcon ??? |
LASPALES : Ouais ! Ah, ah |
CHEVALIER : Deux Mâcons, Francis ! |
LASPALES : Pour moi aussi ! |
CHEVALIER :
Ah, ben, oui, mais c'est pour vous ! Oh, la, la, la, la !!! Ah, la peur de manquer chez celui ci ! Bon. Un coup de tranchoir, et puis c'est mat ! Y'a aucun risque, du moment que les outils bien lavés. Moi même, je tiens beaucoup à l'hygiène :
|
LASPALES : C'est sûr, j'ai des garanties... |
CHEVALIER : Allons, allons ! |
LASPALES :
C'est d'accord, Docteur ! Et pour le règlement ? |
CHEVALIER :
On s'arrangera après... Et puis, vous viendrez faire mes carreaux... |
LASPALES :
Merci Docteur... Mais, oh ! J'ai pas dit que j'avais choisi vitrier !!! |
CHEVALIER : Non... |
© Philippe Chevallier et Régis Laspalès